Lors de la construction du barrage d'Assouan, une campagne internationale a permis de sauver les monuments de l'inondation. Mais que sont devenus les hommes, les femmes et les enfants qui vivaient en Nubie ? Plus de cent mille personnes ont été transférées dans des zones planifiées au Soudan et en Egypte. Ce déplacement forcé a contraint les Nubiens à s'adapter au nouvel environnement, à renoncer à leur isolement géographique et social, à aménager leurs pratiques culturelles et reconstruire leur vision du monde.

Trente ans après, le transfert est intégré aux "manières d'être, de faire et de penser" des Kenuz, Nubiens d'Egypte. Il s'inscrit au sein d'un ensemble d'épisodes réels et mythiques où la migration, expérience et référence, joue le rôle fondamental dans la construction de l'identité.

L'analyse corrélée des phénomènes migratoires et identitaires, à partir des représentations et des pratiques d'un groupe particulier, questionne la structuration du champ social et du champ symbolique. Pour une grande part, les faits de parenté et de croyance sont "nubianisés", une origine locale étant attribuée aux références allogènes, ce qui permet notamment au groupe de revendiquer une ascendance à la fois pharaonique et arabo-musulmane. Tout un travail d'élaboration entre la mémoire et l'oubli, qui construit au présent une "identité migrante" plurielle et réinvente la tradition.

Frédérique Fogel est docteur en ethnologie et sociologie comparative de l'université Paris X-Nanterre. Elle poursuit ses recherches sur la problématique identité/migration en Egypte, au Soudan et en banlieue parisienne.