Paysans dans la révolution. Un défi tunisien
Auteur(s) :FAUTRAS
Résumé :
Cette recherche met en évidence les limites du modèle agricole intensif basé sur l’irrigation par les eaux souterraines promu depuis plusieurs décennies dans les campagnes nord-africaines, tout en apportant des pistes de compréhension de sa perpétuation et de son renouvellement.
À partir d’une étude monographique conduite dans la région de Regueb – Sidi Bouzid, cet ouvrage analyse l’évolution récente des campagnes du Centre de la Tunisie, au regard de ses transformations socio-spatiales sur le long terme. Ces dernières décennies, les usages des ressources agricoles et les appropriations foncières ont connu de profonds changements. Sédentarisation forcée, partage des terres collectives tribales, mise en culture et irrigation de la steppe grâce aux eaux souterraines, essor des cultures destinées à l’export, implication croissante d’hommes d’affaires et de citadins dans le marché foncier : autant de facteurs clefs de la recomposition de cet espace rural à l’économie peu diversifiée. En analysant les dynamiques socio-spatiales de ce pôle agricole national marqué par une accentuation des inégalités à l’échelle locale, cet ouvrage propose une lecture originale de la « révolution tunisienne » depuis les campagnes d’où sont parties les contestations populaires de 2010-2011. Il souligne la façon dont les politiques publiques et leur mise en oeuvre ont favorisé des dynamiques capitalistes spécifiques, dans une région où s’entremêlent de manière singulière logiques paysannes, entrepreneuriales et spéculatives. Au-delà du cas de Regueb, c’est le rôle des élites nationales et locales, rurales et urbaines, dans les appropriations inégales de terre agricole qui est ici souligné. Invitant à repenser la lecture par le dualisme agraire, cet ouvrage contribue également aux débats sur le land grabbing en plaidant pour l’analyse des appropriations de ressources par des acteurs domestiques aux échelles régionale et locale. Cette recherche met aussi en évidence les limites du modèle agricole intensif basé sur l’irrigation par les eaux souterraines promu depuis plusieurs décennies dans les campagnes nord-africaines, tout en apportant des pistes de compréhension de sa perpétuation et de son renouvellement.
Mathilde Fautras est docteure en géographie de l’Université Paris Nanterre (France) et maître-assistante à l’Université de Fribourg (Suisse). Ce livre est issu de sa thèse de doctorat soutenue au sein du laboratoire Mosaïques-LAVUE. Ses recherches portent sur les relations de pouvoir entre groupes sociaux autour de problématiques agricoles et environnementales et sur la recomposition des espaces ruraux dans la mondialisation.
Table des matières
Remerciements
Préface – Frédéric Landy
Introduction, Lire les recompositions de l’espace rural tunisien sous l’angle du foncier en contexte « révolutionnaire »
Chapitre 1. Paysans, entrepreneurs et spéculateurs à Regueb
Contraintes et atouts de l’activité agricole dans le gouvernorat de Sidi Bouzid
Situation d'un gouvernorat à dominante rurale et agricole
Aridité et variabilité : de fortes contraintes pour l'agriculture
Une érosion des sols importante
Diversité des unités agroécologiques, variabilité des ressources disponibles et occupation du sol
Diversité des systèmes d'activité autour de l'agriculture
Les systèmes oléicoles
Les systèmes orientés vers la production animale : les grands éleveurs ovins, de plus en plus rares (E)
Les systèmes maraîchers
Les systèmes orientés vers la production de fruitiers primeurs
Des paysans aux spéculateurs : réflexions sur les catégories d'analyse
Des agricultures familiales ?
Des bédouins aux fellahin
Réinvestir la notion de paysannerie
Logiques paysanne, entrepreneuriale et spéculative
Chapitre 2. Politiques publiques et appropriations foncières. Une fragilisation des maîtrises foncières
Politiques publiques, appropriations foncières et différenciation des systèmes de production agricole
Colonisation, sédentarisation et partage des terres tribales : une désagrégation de la société pastorale
Domanialisation et mise en place de coopératives agricoles de production : un processus de dépossession de la paysannerie
A partir des années 1970 : libéralisme économique et nouvelles modalités d'accès aux ressources productives (financements agricoles, eau)
Le tournant du programme d'ajustement structurel et la mobilisation croissante des investissements privés
Les limites des dispositifs juridiques de l'individualisation de la propriété
Multitude d'institutions et imbrication des échelons de gestion foncière
Le cadastre et l'immatriculation : des procédures complexes, onéreuses et longues à mettre à jour
L'individualisation de la propriété : renforcement vs fragilisation des maîtrises foncières
Chapitre 3. Marché foncier et précarisation foncière
Le développement d'un marché foncier localisé à Regueb
Un marché foncier agricole étroit dans le gouvernorat
Une attractivité nouvelle de la région de Regueb à partir des années 1990
Une hausse sensible des transactions à Regueb
Une flambée des prix fonciers
Une recomposition du "système local d'acteurs"
Logiques et facteurs de vente, entre choix et contrainte
Une diversification des acheteurs et des logiques d'investissement
Des modalités multiformes d'acquisition de la terre
Des alliances "translocales" génératrices d'inégalités des maîtrises foncières
Précarisation et représentations foncières des habitants de Regueb
Diverses représentations de la terre agricole de la part des habitants de Regueb
Une triple représentation du marché foncier de la part des habitants de Regueb
Sentiment d'injustice et précarisation foncière : politisation féconde et angles morts des représentations foncières
Chapitre 4. Inégalités d'accès aux financements agricoles, endettement et précarisation foncière
Une politique de financement favorisant les gros investissements privés
Une captation des subventions par les entrepreneurs et les spéculateurs implantés à Regueb
Un accès inégalitaire au crédit bancaire, en défaveur des paysans
L'endettement par le financement institutionnel : un facteur de précarisation foncière des paysans
Une politique de crédit précipitant l'endettement des plus pauvres
Des pratiques corruptives et clientélistes "translocales" accentuant l'endettement des producteurs les plus vulnérables
Endettement et financements alternatifs au système bancaire : un cercle vicieux ?
La microfinance, un champ d'action limité
Les crédits auprès des fournisseurs d'intrants et de matériel agricole, chers et sélectifs
Les société mutuelles de base (SMB) de services agricoles, peu populaires
Les intrants subventionnés à travers le syndicat agricole majoritaire
Prêts privés "prédateurs" et précarisation foncière
Une imbrication de facteurs induisant une spirale d'endettement
Chapitre 5. Appropriations hydrauliques privées et concurrence sur l'eau : les limites d'un modèle agricole ?
L'expansion de l'irrigation : du développement aux limites d'un modèle agricole ?
Une mobilisation accrue des nappes souterraines depuis les années 1950
Une exploitation effrénée de l'eau
Inégalités d'accès à l'eau et concurrence sur la ressource
Un décalage entre le potentiel d'irrigation et l'irrigation effective
Le capital économique, principal facteur de différenciation de l'accès à l'eau
L'accès à l'énergie nécessaire aux motopompes : un enjeu de taille pour l'irrigation
"Laisser-faire" de l'administration
Des disparités aux inégalités d'accès à l'eau
Concurrence et stratégies d'appropriations de l'eau
Appropriations foncières et appropriations hydrauliques, de la domanialisation à la privatisation
Des arrangements entre producteurs
Adapter son activité au manque d'eau
Production agricole, irrigation et richesse : une évolution de la représentation sociale du fellah
Chapitre 6. Paysannerie et pluriactivité familiale, entre choix et contrainte
La pluriactivité paysanne, entre accroissement des revenus et précarisation des exploitations
Commerçants et revendeurs de produits agricoles
Essor et renforcement des activités de commerce et des marchés locaux (batha)
Le commerce agricole entre risques et opportunités : exemple d'une famille paysanne
Migrations et circulations migratoires autour d'activités extra-agricoles
Une reconfiguration des migrations masculines de travail
"Partir pour rester" : diversité des mobilités et des modalités de gestion foncière
Circulations migratoires masculines : une stratégie remise en question par le contexte supra-régional ?
Féminisation et précarisation des activités agricoles salariées
Essor et féminisation de la main-d'oeuvre agricole salariée
Le travail agricole salarié des femmes, entre précarité et autonomie
Précarisation et renouvellement des rapports de domination à diverses échelles
Pluralité des appartenances identitaires paysannes et imbrication des rapports de domination
Le travail et le rapport patrimonial à la terre au coeur de territorialités paysannes
Des identités professionnelles et de classe aux contours brouillés
Une territorialité fondée sur des appartenances identitaires régionales et tribales exacerbées en cas de conflit
Imbrication des rapports de domination et contestations des paysans
Conclusion
Une différenciation des exploitations impulsée par les politiques publiques
La précarisation foncière des paysans : des facteurs multiples
Les appropriations foncières : un révélateur des dynamiques capitalistes dans des contextes spécifiques
Sidi Bouzid : du "mirage vert" à la crise d'un modèle agricole
Dynamiques foncières et contestations sociales : des liens indirects mais tangibles
Elites domestiques, land grabbing et dualisme agraire
Des appartenances identitaires paysannes complexes
Fiche technique
- ISBN
- 9782811128159
- Date de parution
- 2021-04-08
- Nombre de pages
- 494
- Largeur
- 150 mm
- Hauteur
- 210 mm
- Editeur
- Karthala
Thématique(s)
Zone(s) géographique(s)
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