Petits entrepreneurs de Côte-d'Ivoire. Des professionnnels en mal de développement

Les graves déséquilibres financiers et économiques que connaissent les sociétés au sud du Sahara et la faillite des schémas de développement fondés sur le rôle princeps accordé aux orientations et structures publiques donnent à penser que les voies de la croissance, de la modernisation et du mieux-être passent par l'éclosion des initiatives privées et l'épanouissement de la libre entreprise.

Cet ouvrage consigne les résultats d'enquêtes réalisées auprès de 446 petits et moyens entrepreneurs - artisans/manufacturiers, commerçants et prestataires de services - installés dans trois villes de Côte-d'Ivoire, souvent considérés comme les acteurs du développement à venir. La démarche combine les outils de l'analyse sociale et de l'analyse économique, pour aller des situations enregistrées aux facteurs multidimensionnels qui les ont produites et donner une vue des valeurs et représentations qui structurent les pratiques entrepreneuriales.

Les principaux enseignements de cette exploration montrent de petits entrepreneurs disposant de revenus appréciables, des établissements conjuguant visibilité physique et assujettissement fiscal et abritant de nombreux emplois, des-activités largement ouvertes à toutes les communautés ethnorégionales et culturelles, des parcours entrepreneuriaux marqués par de nombreuses et importantes mobilités, géographiques, sectorielles, statutaires... D'autres leçons révèlent les valeurs économiques qui fondent leurs décisions et les vertus professionnelles qui orientent leurs comportements : rigueur et sobriété de gestion, assiduité dans l'exploitation, pratique de l'auto-financement, morale quotidienne de la parcimonie et de la mesure. Ces « calvinistes » à leur manière savent faire face aux pressions familiales et sociales, arbitrer entre des intérêts contradictoires, faire valoir le calcul économique et assurer l'équilibre de leurs affaires. Foin donc du procès en dilettantisme instruit trop facilement à leur endroit.

Ces qualités ne sont cependant pas de nature à lever toutes les contraintes, tant endogènes, qui poussent à la diversification plutôt qu'à l'intensification de leurs affaires, qu'exogènes, liées notamment à la faible intégration des relations dans le circuit économique national. Ainsi apparaissent les limites des politiques actuelles de libéralisation, de réhabilitation des initiatives privées, de promotion des petites et moyennes entreprises. 

Yves A. Fauré, maître de conférences des Instituts d'études politiques, est chercheur à l'Institut français de recherche scientifique pour le développement en coopération (ORSTOM). Cofondateur de la revue Politique africaine, il est auteur ou coauteur d'ouvrages et d'articles sur l'Afrique.